Paquet de printemps : l’économie européenne face aux « vents contraires »

09.06.2022

Gestion d'entreprise

Alors que les perspectives économiques européennes s’annonçaient plutôt optimistes pour 2022, plusieurs facteurs ont grandement perturbé ces prévisions et la Commission a revu sa copie à la baisse.

Le 23 mai dernier, la Commission a publié, dans le cadre du Semestre européen, le « paquet de printemps ». Précédé par les prévisions économiques de la Commission (Prévisions économiques de printemps 2022, 16 mai 2022), le paquet comprend divers documents, notamment une communication sur les principaux éléments du paquet (Doc. COM (2022) 600 final, 23 mai 2022), des recommandations économiques et des rapports par pays (pour la France : Doc. COM (2022) 612 final, 23 mai 2022 ; Doc. SWD (2022) 612 final, 23 mai 2022), les bilans approfondis dans le cadre de la procédure de lutte contre les déséquilibres excessifs (pour la France : Doc. SWD (2022) 632 final, 23 mai 2022) et le rapport établi en vertu de l’article 126, § 3 du TFUE, dans le cadre de la procédure de lutte contre les déficits et dettes excessifs (Doc. COM (2022) 630 final, 23 mai 2022).

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La publication de ce paquet intervient quelques jours après celle de la stratégie REPowerEU (Doc. COM (2022) 230 final, 18 mai 2022). Ainsi, le nouveau paquet du Semestre européen mais également le plan de relance pour l’Union à travers la Facilité pour la reprise et la résilience (programme NextGenerationEU) intègrent le besoin d’une transition énergétique accélérée afin, entre autres, de réduire la dépendance de l’UE aux énergies fossiles russes.

Pour la Commission, la reprise qui s’amorçait fin 2021 - début 2022 fait face à des « vents contraires » résultant de la pandémie, de la guerre en Ukraine et de la hausse du taux d’inflation dans l’UE. Dans ces conditions, la nécessité d’une coordination économique est encore plus importante et les États doivent rester particulièrement vigilants. En effet, les déséquilibres sont nombreux. Il ne faut ni les aggraver, ni compromettre la reprise en luttant trop brusquement contre eux. Ainsi, dans son paquet de printemps, la Commission fait preuve de souplesse, d’autant que les économies nationales peuvent compter sur le plan de relance européen pour soutenir leur croissance et se réformer pour s’adapter aux défis contemporains.

Les prévisions de printemps

Les chiffres

Dans l’ensemble, les prévisions économiques de la Commission restent plutôt optimistes, même si elles sont revues à la baisse (Prévisions économiques de printemps 2022, 16 mai 2022, p. 2). Ainsi, pour 2022, la croissance est estimée à 2,7 % pour l’Union, alors qu’elle était estimée à 4,0 % lors des prévisions de février 2022 (Prévisions économiques d’hiver 2022, 10 févr. 2022 ; v. notre article). Pour 2023, l’estimation a été réduite à 2,3 % au lieu de 2,8 %. En revanche, les prévisions d’inflation devraient augmenter à 6,1 % en 2022 et 2,7 % en 2023 (au lieu de 3,5 % et 1,7 % selon les prévisions de février). Au niveau mondial, la Commission prévoit une croissance de 3,2 % en 2022 et 3,5 % en 2023 (Prévisions économiques de printemps 2022, 16 mai 2022, p. 19).

Le maintien d’une croissance élevée est, en partie, le fruit d’une baisse continue du chômage qui devrait atteindre 6,7 % en 2022 et 6,5 % en 2023. Les déficits publics continuent aussi de baisser. Le déficit public global dans l’UE était de 7,7 % du PIB en 2021 et il est désormais estimé à 3,6 % en 2022 et 2,5 % en 2023.

Les facteurs explicatifs

La sortie de la pandémie et la levée des principales restrictions instaurées par les États membres ont permis, en 2021, une vigoureuse reprise qui devait permettre d’atteindre une croissance élevée pour 2022. Cette reprise est néanmoins mise à l’épreuve par une série de « vents contraires ».

Avant le déclenchement du conflit ukrainien, trois facteurs principaux pesaient dans ces prévisions : la pandémie (et le variant omicron de la COVID-19), les goulots d’étranglement logistiques pour la livraison de certains biens et l’augmentation des prix de l’énergie. La guerre en Ukraine renforce l’ensemble de ces tendances. La fermeture de l’espace russe (aérien, ferroviaire, routier) complexifie encore plus la logistique. Les prix des matières premières agricoles et de certains métaux industriels augmentent. Au surplus, le retour de l’inflation impose un changement de politique monétaire et donc une augmentation, en cours et à venir, des taux d’intérêt dans l’UE (Prévisions économiques de printemps 2022, 16 mai 2022, p. 22-23).

Ces « vents contraires » ont des effets immédiats sur les prévisions pour 2022. La confiance dans le secteur de l’industrie et de la construction baissant, les investissements ralentissent. Ils sont cependant atténués par des vents favorables : l’effet de report de la croissance élevée en 2021, le niveau élevé d’épargne des ménages, ainsi que la solidité du marché du travail (Doc. préc., p. 26-31).

La « démondialisation »

Au détour d’une page du rapport établissant ses prévisions économiques de printemps 2022, la Commission évoque la perspective d’un changement de paradigme, celle d’une « démondialisation ». Pour elle, « le risque d’une démondialisation à grande échelle a encore augmenté. La restructuration des liens économiques mondiaux pourrait partiellement remettre en cause les gains de la mondialisation avec des bénéfices moins importants résultant de la division internationale du travail et aboutir ainsi à une diminution de l’innovation technologique, une hausse des prix à l’importation, ainsi qu’une baisse de production potentielle » (Prévisions économiques de printemps 2022, 16 mai 2022, p. 12).

La Commission ajoute que le marché unique européen pourrait, potentiellement, atténuer l’impact d’une telle démondialisation. Toutefois, elle n’en dit pas plus et ne détaille pas cette perspective.

La coordination des politiques économiques

Les conditions actuelles rendent plus complexe la formulation d’une politique économique. Pendant la pandémie, les politiques économique et monétaire étaient toutes les deux expansionnistes. Avec le retour de l’inflation, la politique monétaire risque de devenir plus restrictive. Il appartient alors à la politique économique de soutenir la croissance. La Commission insiste alors sur l’opportunité des transitions jumelles à mener – sur les plans écologique et numérique - qui, à court terme, soutiennent la croissance en créant de l’activité et, à long terme, renforcent le potentiel de croissance, par les réformes qu’elles exigent.

La coordination des politiques économiques des États membres a pour objectif leur rapprochement. Afin de favoriser la convergence des économies nationales, certaines lignes directrices collectives sont déterminées au niveau de l’Union. Sur la base de ces orientations générales et de l’analyse de chaque pays, la Commission formule des « recommandations par pays », qui comprennent quatre volets : la politique budgétaire, la mise en œuvre du plan pour la reprise et la résilience, la politique énergétique (dans le cadre de REPowerEU) et les défis structurels ou émergents.

Remarque : la recommandation adressée à la France sera commentée à la fin de cet article.

Les recommandations générales

Le Conseil adopte chaque année une « recommandation concernant la politique économique de la zone euro ». Pour 2022, il formule cinq grandes séries de recommandations (Recomm. du Conseil, 5 avr. 2022 : JOUE n° C 153, 7 avr.). La première concerne les politiques budgétaires nationales qui doivent « maintenir une orientation (…) modérément favorable », en investissant dans les transitions jumelles écologique et numérique. La seconde série a pour but de favoriser l’environnement économique par des réformes fiscales (« diminuer la pression fiscale sur le travail »), une politique de l’emploi favorisant l’insertion et des transitions professionnelles. La troisième série porte sur l’environnement financier et recommande aux États de garantir la solvabilité des entreprises viables et d’approfondir l’union des marchés de capitaux. La quatrième série porte sur les cadres institutionnels nationaux, en prévoyant la réduction de la charge administrative des entreprises et une meilleure gestion des finances publiques, en particulier par le biais de la budgétisation verte. Enfin, la dernière série est relative à la stabilité macrofinancière et aux canaux de crédit, en demandant aux États de lutter contre les prêts non-performants et de finaliser l’union bancaire.

Le paquet de printemps contient aussi une proposition de décision du Conseil, que ce dernier adopte souvent à l’identique, établissant les lignes directrices pour l’emploi (Doc. COM (2022) 241 final, 23 mai 2022). Elles se répartissent selon quatre rubriques. En premier lieu, les États doivent favoriser l’offre d’emplois par le biais de la réduction des obstacles à l’embauche, la baisse de la fiscalité sur le travail, la formation, ou encore les contrats courts. En second lieu, il faut que les États augmentent le capital humain et les compétences, notamment dans le cadre des transitions jumelles, par la formation initiale et continue. En troisième lieu, les États sont encouragés à favoriser le fonctionnement du marché du travail et le dialogue social, en garantissant un environnement de travail sain et flexible. En dernier lieu, les États doivent favoriser l’égalité des chances, l’inclusion sociale et lutte contre la pauvreté, par exemple avec un système éducatif accessible.

Les défis communs

Alors que les orientations précitées sont adoptées par la Conseil, il revient à la Commission de recenser les « défis communs » auxquels les États sont confrontés et de proposer alors des pistes pour y répondre. On retrouve sensiblement les mêmes propositions que celles formulées par la Conseil (Doc. COM (2022) 600 final, 23 mai 2022).

La Commission recense quatre défis communs :

  • le premier est celui de la « durabilité énergétique et environnementale ». La Commission souhaite qu’en 2030 la part des énergies renouvelables passe à 40 %, contre 20 % aujourd’hui. Pour cela, il faut « mobiliser d’avantage d’investissements publics et privés », alléger la lourdeur des procédures administratives pour les projets d’énergie renouvelables et accélérer la transition vers une économie circulaire ;

  • le second défi est celui de la productivité qu’il convient d’améliorer par le bon fonctionnement du marché unique, des réformes ambitieuses pour l’environnement des entreprises ou les capacités administratives et par la recherche et l’innovation ;

  • le troisième défi est celui de l’équité qui peut être relevé, notamment, par le redressement du marché du travail en favorisant les compétences ;

  • enfin, le dernier défi est celui de la stabilité macroéconomique. Pour y parvenir, à court terme, les États doivent, en même temps, limiter l’impact de la hausse des prix et mener une politique budgétaire prudente. A moyen terme, la Commission estime que des réformes structurelles sont nécessaires pour garantir la soutenabilité de la dette publique, comme celle des retraites ou contre la « planification fiscale agressive ».

Une convergence des économies nationales

Le Semestre européen ne se contente pas de donner une orientation commune aux politiques nationales. Il garantit aussi la convergence des économies nationales, ou plutôt leur absence de divergence. Il comprend deux procédures, une concernant la politique budgétaire et une autre relative aux déséquilibres macroéconomiques.

Les dettes et déficits publics

Le niveau élevé de dettes de certains pays européens inquiète la Commission.

En 2021, le déficit global dans l’Union était de 4,7 % et de 5,1 % dans la zone euro (Doc. COM (2022) 630 final, 23 mai 2022). Le ratio de dette était de 91,7 % du PIB en 2020 et de 89,7 % du PIB en 2021 pour l’Union (99,2 % et 97,4 % dans la zone euro). Pour 2022 et 2023, la Commission prévoit 3,6 % et 2,5 % et la dette à 87,1 % et 85,2 % dans l’ensemble de l’Union (94,7 % et 92,7 % dans la zone euro).

En 2021, le déficit public de 14 États membres dépassait le seuil de 3 % du PIB, dont celui de la France et de l’Allemagne. La Commission note que l’écart entre les taux allemands et ceux des autres pays de la zone euro commence à s’agrandir (Prévisions économiques de printemps 2022, 16 mai 2022, p. 22). Cependant, l’activation de la clause dérogatoire générale du pacte de stabilité et de croissance depuis mars 2020, associée à l’encadrement temporaire des mesures d’aides d’État, a rendu possible un soutien budgétaire à grande échelle dans tous les États membres. La Commission estime que les conditions permettant de maintenir cette clause dérogatoire en 2023 et de la désactiver à partir de 2024 sont réunies.

L’exécutif européen souligne également que le critère de la dette publique (60 % du PIB) n’est pas respecté dans 11 États, dont la France. Sur la base du critère de la dette, ce déficit n’est considéré comme excessif que dans les États dont la trajectoire d’ajustement du ratio de la dette n’est pas respectée, à savoir : la Belgique, la France, l’Italie, la Hongrie, la Slovaquie et la Finlande. Cependant, la Commission n’exige pas le respect par ces États de cette trajectoire. En raison des circonstances exceptionnelles, elle estime que cela « impliquerait un effort budgétaire trop contraignant concentré en début de la période qui risquerait de compromettre la croissance » (Doc. préc., p. 7).

Ainsi, et toujours en raison de ces circonstances, la Commission décide de ne pas ouvrir de nouvelles procédures pour déséquilibres excessifs dans l’UE. En effet, bien que la « clause dérogatoire » ait été activée depuis le printemps 2020, celle-ci ne suspend pas les procédures du pacte de stabilité et de croissance, elle autorise seulement les États à s’écarter temporairement de la trajectoire d’ajustement.

Les déséquilibres macroéconomiques

Le paquet d’automne contenait un rapport sur le mécanisme d’alerte dans le cadre de la procédure de lutte contre les déséquilibres macroéconomiques (Doc. COM (2021) 741 final, 24 nov. 2021 ; v. notre article). Lorsqu’elle identifie des déséquilibres dans certains États, la Commission va alors effectuer un bilan approfondi dont les conclusions sont publiées dans le paquet de printemps.

Ainsi, la Commission constate que, sur les 12 États pour lesquels elle a fait un bilan approfondi, 10 présentent des déséquilibres, dont certains sont jugés excessifs (Doc. COM (2022) 600 final, 23 mai 2022). La France, l’Allemagne, les Pays-Bas, le Portugal, la Roumanie, l’Espagne et la Suède présentent des déséquilibres ; Chypre, la Grèce et l’Italie présentent des déséquilibres excessifs. Les causes de ces déséquilibres sont propres à chaque pays. Par exemple, concernant l’Allemagne, il s’agit d’un excédent de la balance courante, d’une compression de la consommation et de la faiblesse persistante des investissements. Pour l’Italie, les déséquilibres sont liés à « un niveau élevé de dette publique et à la faible croissance de la productivité, dans un contexte de fragilité du marché du travail et de certaines faiblesses des marchés financiers ».

La situation française

La Commission prévoit une croissance de 3,1 % en 2022 et 1,8 % en 2023, contre 7 % en 2021 (Prévisions économiques de printemps 2022, 16 mai 2022, p. 74). L’inflation est estimée à 4,9 % en 2022 et 3,1 % en 2023. Le chômage devrait se stabiliser à 7,6 % en 2022 et 2023, soit en dessous de son niveau d’avant la crise.

Le déficit public reste, en revanche, élevé. Il était de 8,9 % en 2020, 6,5 % en 2021, il devrait être de 4,6 % en 2022 et 3,2 % en 2023 (Doc. COM (2022) 630 final, 23 mai 2022, p. 24). La dette publique était en 2019 de 97,4 %, elle est passée à 114,6 % en 2020, 112,9 % en 2021 et elle devrait être de 111,2 % en 2022 et 109,1 % en 2023. La Commission estime que la dette publique présente alors « des risques élevés à moyen terme » (Doc. préc., p. 25).

La France a présenté en avril 2022 son programme national de réforme. La Commission en publie l’évaluation dans son paquet de printemps. Le programme français est construit autour de quatre défis :

  • investir dans la transition écologique et incarner l’écologie au quotidien,

  • construire une société de production résiliente, durable et de compétences,

  • renforcer l’État providence pour une société plus juste, et

  • poursuivre la modernisation et la rationalisation de l’État et des services publics (Programme national de réforme du Gouvernement français 2022, Avr. 2022).

La Commission a aussi mené un bilan approfondi concluant à l’existence de déséquilibres en France (Doc. SWD (2022) 632 final, 23 mai 2022). Ils sont dus à l’endettement public, mais également à l’endettement privé (174 % du PIB en 2020) et à une faible compétitivité. En effet, la croissance de la productivité a été de 0,4 % en France entre 2012 et 2019, contre 0,6 % dans la zone euro.

Sur cette base, la Commission a publié sa proposition de recommandation pour la France, qui devra être adoptée dans quelques semaines par le Conseil (Doc. COM (2022) 612 final, 23 mai 2022), ainsi que son rapport sur la France (Doc. SWD (2022) 612 final, 23 mai 2022). Elle recommande de « mener une politique budgétaire prudente en 2023 » et de limiter la croissance des dépenses courantes. Elle estime également que la France devrait accroître l’investissement public en faveur de la transition écologique et numérique et de la sécurité énergétique, accélérer le déploiement des énergies renouvelables, réformer le système des retraites ainsi que remédier à la pénurie de compétences en élevant le niveau des compétences de base.

Dans l’ensemble, certaines réformes menées ces dernières années devraient porter leurs fruits et permettre une hausse de la compétitivité. Elles devraient également être couplées au soutien européen à travers la Facilité pour la reprise et la résilience et au plan « France relance ». Cela devrait permettre de garantir une croissance des investissements publics et privés dans le PIB (23 % du PIB) ce qui hausserait la place de la France au 11e rang de l’UE, devant l’Allemagne (Doc. SWD (2022) 612 final, 23 mai 2022, p. 5).

Sébastien Adalid, Professeur de Droit public à l'Université de Rouen Normandie
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